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« Que ce soit doux pour les vivants », de Lydia Flem, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 192 p., 19,50 €, numérique 14 €.
Faire son deuil, on croit que c’est tourner une page. Accepter la disparition des êtres chers, admettre qu’elle est sans retour, cicatriser du déchirement, ne plus pleurer ni crier, penser enfin à autre chose… tel serait le processus. Porte close, tombe fermée, oubli pacifié. Et si c’était insuffisant ? Et illusoire ou, pis encore, impossible et déshumanisant ? S’il fallait, au contraire, ouvrir une nouvelle page et se mettre à l’œuvre ? Pour entretenir les souvenirs, cultiver l’évocation des disparus, prolonger leur présence-absence. Pour converser sans fin (sans terme ultime, sans objectif), tendrement, avec ces fantômes adorés qui n’ont plus que nos mots et nos mémoires pour les tenir hors du noir.
Cette culture quotidienne, patiente et attentive, de l’étrange permanence des disparus dessine sur le deuil une perspective inhabituelle. Il se fait inventif et créateur, devient à la fois interminable et doux. Il ne s’agit plus de fermer vite la porte des Enfers, mais de découvrir sans cesse de la vie qui persiste, et de l’entretenir. Tel est l’axe principal du nouvel ouvrage de Lydia Flem, Que ce soit doux pour les vivants, qu’elle publie vingt ans après l’un de ses livres les plus remarqués, Comment j’ai vidé la maison de mes parents (Seuil, 2004). Que sont devenus les objets, photos et lettres sauvegardés du grand tri ? Comment se sont-ils répartis ? Au fil du temps, que disent-ils encore d’inattendu, ou de touchant, de celui et de celle qui y ont déposé des bribes de leur existence ?
On retrouve dans ce texte sensible le style unique de Lydia Flem, mêlant subtilement notations factuelles et émotions intimes, introspection et réflexion. Au-delà du récit de soi, ce patchwork de brèves descriptions et de souvenirs personnels esquisse – par petites touches, mine de rien – une méditation de fond sur la vie et la mort, la mémoire et la création. Psychanalyste, écrivaine, photographe, membre de l’Académie royale de Belgique, l’autrice ne se contente pas de revenir sur le destin de son livre de 2004. Elle en fait le prétexte à un parcours très fin dans l’entrelacs entre les choses et les êtres, l’aujourd’hui et l’hier, les mots et les morts.
Au fur et à mesure, on comprend que le deuil est une création toujours à venir, une conversation toujours à reprendre, qui ne cesse d’explorer l’amour et de redonner vie aux ombres. Parmi ces dernières, outre celles du père et de la mère, l’ombre de Maurice Olender, mort en 2022, accompagne ce livre, lequel lui doit son existence. Compagnon de Lydia Flem depuis 1979, l’éditeur et historien lui a suggéré ce retour, avant de s’éteindre lui-même, sans pour autant disparaître, lui non plus. Le titre de ces pages, Que ce soit doux pour les vivants, est une phrase qu’il a prononcée un jour où, se sachant atteint d’une maladie incurable, il envisageait le déroulement lointain de ses obsèques. Ce souci des vivants et cette tendresse privilégiée exigent, pour y être fidèle, un tact vigilant.
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